hommage /
interventions
En septembre 2022, un an après la disparition de Laura Sheleen, le Collectif Laura Sheleen a souhaité lui rendre hommage au Regard du Cygne à Paris, un lieu qui lui était cher.
Les interventions, témoignages sensibles et échanges
Anna Alexandre
chargée de formation sur les médiations théâtrales et enseignante en psychomotricité
… Laura nous répétait souvent les mots d’une de ses enseignantes Muriel Stuart, « Quand vous saurez comment vraiment marcher, vous saurez vraiment comment danser. »
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É.Le Collectif des élèves de Laura SHELEEN constitué de Mounira Yagoubi, Paule Rouat, Cornélia Perrocheau, Dasa Dluhosova, Eleni Papagiorgiou, Nabila Lorion, Pascale Diaz, Claire Mathaut, Eve Alexandre, Holger Dörnemann et moi, s’est réuni lorsque Laura s’est retirée dans sa maison de Annay en Bourgogne et a demandé à ce que l’on se dise adieu : « MAINTENANT, TOUT DE SUITE, ET POUR TOUJOURS », avant qu’elle n’entame seule le chemin vers sa fin de vie.
Nous étions donc déjà un peu en deuil, seules, un peu perdues et quand même en attente… Avec Paule Rouat, nous avons imaginé comment rester en lien avec Laura d’une façon différente. Nous avons décidé de nous retrouver régulièrement et de continuer à marcher comme nous le faisions durant les stages. J’avais lu un conte gitan qui disait que leur peuple ne s’arrêtait jamais longtemps dans un lieu et reprenait toujours sa marche car il sentait qu’il était responsable du mouvement de rotation de la terre.
Laura nous répétait souvent les mots d’une de ses enseignantes Mary Antony, « si vous savez marcher, vous saurez danser ».
Pendant les dernières années de la vie de Laura nous avons dirigé cette marche à tour de rôle.
Laura est morte en mai 2021. Peu d’entre nous ont pu assister à ses funérailles, mais nous avons très vite désiré préparer cet hommage d’aujourd’hui avec l’intuition que tant qu’on parlait d’elle, de sa transmission, elle resterait en vie. Nous avions envie de retrouver, de réunir toutes les personnes, qui comme nous, avaient goûté à son enseignement si profond.
Laura était une femme discrète et solitaire, aussi retrouver les contacts, les amis et réunir toutes ces personnes, ces témoignages n’a pas été chose facile.
Nous avons souhaité rendre visibles les différents pans de sa recherche et de ses transmissions et permettre à son héritage de rester vivant. Nous avons pensé qu’un site pourrait y contribuer efficacement. J’ai rencontré Judith Klein, lorsque nous étions toutes les deux élèves de Laura lorsqu’elle enseignait au studio Hoche et que nous avions à peine 20 ans …Judith a proposé spontanément de faire un don pour la création de ce site : www.laurasheleen.com.
Je veux remercier toute cette assemblée nombreuse constituée essentiellement de ceux qui ont pu profiter de l’enseignement de Laura SHELEEN.
Je veux remercier Amy Swanson qui nous accueille aujourd’hui dans ce merveilleux lieu : « LE REGARD DU CYGNE » où Laura a donné de nombreux stages ainsi qu’une résidence et la préparation d’un spectacle pour le CENTRE NATIONAL DE LA DANSE en 2010.
AMY a proposé que cet hommage ait lieu pendant les journées du PATRIMOINE ET MATRIMOINE mais nous avons tenu à ce que le premier jour soit plus intime et réservé à ceux qui l’ont connu.
Cette première journée nous l’avons organisée en trois temps :
PREMIER TEMPS : les témoignages
parlés
Viviane Thibaudier, Psychanalyste didacticienne Jungienne,
France Schott Bilmann, psychanalyste, danse thérapeute, enseignante
Amy Swanson, danseuse et fondatrice du Regard du Cygne
Jabrane Sebnat, Psychologue et formateur
Johannes HELLER qui a été le dernier à être aux côtés de Laura dans ses tous derniers moments
filmés
« L’invitation au Labyrinthe « ( Eve ALEXANDRE 2009 )
Un extrait de la conférence » Mythodrame , théâtre de masques et individuation « ( 2010.) Laura SHELEEN
Un extrait du film en cours de réalisation « Donna mi pregua » de Morena CAMPANI
DEUXIEME TEMPS : Les expériences thérapeutiques
Benoit Lesage (médecin, docteur en Sciences Humaines Danse Thérapeute) Novella Abrici (enseignante spécialisée, art thérapeute),
Vicenzo Bellia (psychiatre et danse Thérapeute),
Barbara Dragoni (danseuse et danse thérapeute)
nous raconterons comment le travail de Laura a pu s’appliquer dans le champ thérapeutique
TROISIEME TEMPS : Des exemples de pratiques présentés et animés par le collectif des élèves de Laura Sheleen (création costume Mounira Yagoubi)
L’Anneau
Une création chorégraphique à partir du travail des directions
La danse Soufi avec l’ensemble du publicLa seconde journée
Nous rejoignons le programme proprement dit des Journées du Patrimoine et Matrimoine ouvert à tous et proposerons trois ateliers :
Les ATELIERS du matin
Le Rituel de l’anneau dirigé par Mounira Yagoubi.
La présentation du film d’Eve Alexandre : « Géométries »
L’initiation au Mythodrame dirigé par Eleni Papageorgiou.
L’ATELIER de l’après-midi
Un atelier dirigé par Jabrane SEBNAT dont Laura avait utilisé sa création musicale pour le rituel
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Être élève de Laura Sheleen
De 1967 à 2017, pendant 50 ANS j’ai reçu son enseignement et bénéficié de sa transmission. Cela a profondément marqué mon métier d’enseignante des médiations théâtrales ainsi que ma pratique de thérapeute en psychomotricité.
J’ai pu repérer les axes fondamentaux qui soutiennent son enseignement. Ce sont ces axes que je vais vous exposer. Car au- delà de leur application concrète et pratique, ils ont une fonction symbolique qui rend possible les processus de transformation. En d’autres termes, il s’agit du CADRE qui s’articule en plusieurs points :
LE SOIN DONNE AUX LIEUX DE TRAVAIL
Après le studio Hoche Laura a donné ses cours dans l’hôtel particulier La Pagode dans le 7ème arrondissement. Puis lorsqu’il fut vendu pour devenir un cinéma d’art et d’essai, Laura semblait renoncer à enseigner à Paris. J’ai alors listé les critères qu’elle considérait comme incontournables ; et je me suis mise en route pour trouver ou construire ce lieu – cet outil de travail.
« Il fallait un plateau sans aucun pilier, il fallait que le sol soit en chêne posé sur des lambourdes pour que les genoux des danseurs ne fatiguent pas, il fallait qu’il y ait la possibilité d’aérer, il fallait qu’il y ait un espace en dehors de la salle de travail qui soit consacré à nos affaires de tous les jours et qu’aucun objet personnel ne rentre dans l’espace consacré au travail. Il fallait que nous puissions trouver un espace pour se restaurer afin de ne jamais mélanger nourritures terrestres et nourritures sacrées. La perception d’une symètrie devait exister : le CARDO, l’axe nord /sud LE DECAMANUS ou l’axe est /ouest. Pour faire exister l’axe absolu de la VERTICALE, il fallait une belle hauteur. Il fallait s’assurer de pouvoir faire le noir et disposer de projecteurs qui éclairent et soulignent les jeux. Et bien sûr, la salle devait nous protéger des bruits extérieurs.
C’est ainsi que la salle dite «l’Atelier des deux ponts » boulevard de Port Royal a été ouverte en 1986 ; Laura y a créé le rituel de l’Anneau et de la Gnose. Puis en 2002 les deux salles de la SCENE QUAI EST à Ivry sur seine et enfin en 2007 la salle de QUAI DES VOIX que vous apercevrez tout à l’heure dans les films d’Eve ALEXANDRE.
Elle m’a appris qu’on devait toujours soigner son lieu, le préparer avant que les participants arrivent ; ce qui oblige celui qui dirige le travail à être là avant les autres. Pour que l’alchimie de la transformation soit possible, il était nécessaire que l’on quitte le monde du quotidien pour entrer dans un autre espace temps ou le «capitaine » vous accueille, comme Laura aimait le répéter, un capitaine seul maître à bord pour gouverner. Il fallait d’abord garantir une enclave dans » l’espace / temps » quotidien.
Un jour, un enfant que je suivais individuellement en psychomotricité m’a poussée à être plus précise. Il m’a demandée pourquoi lorsque la séance allait commencer, je laissais l’étiquette avec mon nom sur la porte ? Lorsque je lui ai répondu que c’était pour que l’on puisse me trouver, il m’a demandé au contraire d’enlever mon nom. Cet endroit ne devait pas être partagé, il était sacré, intime et confidentiel ; et je devais garantir la non effraction de cet espace. Je n’étais donc plus là pour les autres.
Laura savait donner aux lieux cette qualité qui allait permettre d’opérer une transformation.
Et cela, je m’en suis toujours souvenue.
LA LENTEUR
Laura n’a jamais été complètement à l’aise avec la langue française et lorsqu’elle nous parlait, elle mettait beaucoup de concentration et d’attention d’où une lenteur inhabituelle pour nous donner les consignes, ce qui nous maintenait en alerte et en écoute augmentée. Le temps s’en trouvait lui aussi transformé. Plus rien de ce qui était entendu était prévisible ; chaque situation décrite avait le goût de « la première fois » ; ce qui haussait ces expérimentations au niveau non pas d’exercices mais de véritables initiations et nous mettait dans une sorte de méditation: le centre ou l’infini , le devant de soi ,le retour au zéro, l’espace personnel, l’espace de l’autre… Pour nous faire sortir des automatismes et des évidences, elle entrait dans une narration : les mouvements du soleil, de la terre, les steppes où nos ancêtres voyaient le soleil se lever à l’Est et disparaître à l’Ouest dans la gueule des loups hurlants, (d’où l’expression dans le milieu théâtral italien « BOCCA LUPO « pour conjurer la catastrophe, la chute de l’astre).
Puis elle nous emmenait dans l’architecture des cathédrales, dans les lois de la construction des villes selon le CARDO et le DECAMANUS ou dans celle des théâtres. Elle nous reliait avec l’intelligence du Monde. Elle nous faisait sortir de cette séparation du corps et de la tête. Notre corps pensait, parlait, symbolisait ! Selon certaines mythologies, il était constitué de 4 animaux : la tête était l’aigle qui scrute et guette ses proies, le plexus était le lion dont le mouvement d’ouverture pour aller vers l’autre ou de fermeture pour marquer le retrait et la méfiance ; le bassin était le taureau, la force physique, la sexualité ; le quatrième animal était le serpent, comme nous le trouvons dans le caducée, le symbole de la médecine. Il représente l’énergie qui traverse, à des moments différents et selon les besoins les trois autres animaux. De même, elle ouvrait les mots avec ses ciseaux pour redonner la saveur de leurs parcours étymologiques.
Et cela je m’en suis toujours souvenue.
LA FOCALISATION
Une autre règle du travail de Laura était « LA FOCALISATION » en référence à la déesse HESTIA qui faisait du feu en concentrant son souffle au travers d’un bambou. Lorsque nous regardions un exercice ou une création ; les trois coups du brigadier, le noir, puis la lumière des projecteurs, le silence, nous révélaient, comme sous l’effet d’une loupe, les micro-mouvements, et grâce à nos neurones miroirs, ce qui était invisible devenait visible.
Et cela, je m’en suis toujours souvenue.
LA VERBALISATION
Dans les cours de Laura contrairement aux autres cours de danse, nous parlions beaucoup ; le faire n’était pas suffisant, il fallait favoriser le passage de ce qui s’échappait de chacun, de nos mouvements, de nos lapsus corporels, de nos parcours, de notre écriture chorégraphique, de nos actes, de notre tonus, de notre rapport aux autres, aux objets, au temps et à l’espace. Pour cela il y avait le moment de la Paroli (redire avec des mots ce que l’improvisateur pouvait saisir de ce qu’il avait fait), puis le moment pour la parole subjective de ceux qui regardaient, en conservant toujours l’emploi du conditionnel et surtout la prudence dans la prise de parole car «tout le monde peut se tromper, inclue moi-même » aimait à répéter Laura. Quelques fois les jeux étaient filmés et l’acteur avait aussi recours à cette trace de son travail qu’il pouvait ainsi commenter.
En tout cas, pas d’interprétations psychanalytiques car le cadre et le contrat n’étaient pas thérapeutiques. Mais la formation de Laura lui permettait, d’entendre ce qui n’était pas manifeste et de relier le travail, le faire mûrir en mettant en miroir des récits mythologiques qui parlaient de narcissisme de culpabilité, de désir de vengeance etc.
Et cela, je m’en suis toujours souvenue.
L’INDIVIDUATION
Laura favorisait l’individuation par la structuration et le non fusionnement des espaces, des temps et des personnes. Elle protégeait les actes et les paroles de chacun dans leur singularité ; ce qui par là même, les rendaient inaliénables. Chacun avait à résister à toutes sortes d’imitations et devait maintenir sa parole de sujet qu’elle soit verbale ou corporelle. Ne pas faire UN, ni avec l’espace ni avec le corps de l’autre.
Et cela, je m’en suis toujours souvenue.
L’EN-STASE et non l’EX-TASE
Il s’agissait de toujours rester au plus près de la conscience. Ne pas se laisser envoler, déborder, emporter dans une sorte de transe ou d’exaltation par des pulsions, qui nous attiraient hors de nous ; entendre le lapsus tout en nous protégeant d’un « passage à l’acte ».
Et cela, je m’en suis toujours souvenue.
Tous ces points fondamentaux constituant le CADRE et le protocole de l’enseignement de Laura SHELEEN ont nourri et soutenu ma pratique. J’ai toujours accordé beaucoup d’attention à ce que ces règles puissent être tenues.
Mais, j’ai pu construire des propositions originales et singulières en conjuguant des exercices venant du théâtre, de la danse, des marionnettes avec des publics de tous âges ; ayant une demande de soins ou une demande de formation au métier de la scène ou une demande de formation au métier du soin.
Anna Alexandre
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MOTS CLES
QUALITE DES LIEUX/ STRUCTURATION DES ESPACES ET DES TEMPS / LENTEUR MEDITATIVE / FOCALISATION / INDIVIDUATION / LE CORPS ET L’ESPRIT RELIES / PLACE DE LA VERBALISATION
ANNA ALEXANDRE a étudié avec Jacques LECOCQ ( École Internationale de Théâtre) Puis avec Laura Sheleen (Association Le Théâtre du Geste) et au CHU de la Pitié Salpêtriére pour le DE Psychomotricité.
Hommage à LAURA SHELEEN – intervention d’Anna Alexandre
Viviane Thibaudier
psychanalyste didacticienne jungienne
Dans son Zarathoustra, Nietzsche nous dit : « Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. » Cette phrase, il me semble, c’est toute la vie de Laura qu’elle résume.
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Dans son Zarathoustra, Nietzsche nous dit : « Il faut porter en soi un chaos pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. » Cette phrase, il me semble, c’est toute la vie de Laura qu’elle résume.
Comme je l’ai déjà expliqué lors de mon hommage pour ses obsèques, alors qu’elle avait moins de 3 ans, sa grand mère paternelle a chassé sa jeune mère pour se substituer à elle, et élever l’enfant qu’elle était, en l’éduquant à la manière très sectaire des baptistes américains.
Mais très tôt Laura s’est rebellée, et a voulu échapper à cet enfermement, sentant bien, dès son plus jeune âge, que ce n’était pas là son chemin de vie. C’est ce qu’elle fit d’ailleurs dès l’âge de 8 ans en faisant l’école buissonnière à travers les chemins de terre boueuse et la campagne enneigée de ce beau et sauvage état du Michigan au Nord des Etats-Unis.
C’est ce qu’elle fit aussi, plus tard, en fin d’adolescence en quittant ce milieu, mais pour de bon cette fois et définitivement. Curieuse et exploratrice, elle se mit alors à déambuler à travers l’Amérique, seule et sans le sou, à la dérive en quelque sorte et probablement aux prises avec un immense chaos intérieur, jusqu’à ce qu’elle finisse un jour, quelques années plus tard, par arriver à New York où elle va enfin rencontrer des gens très différents et se lancer alors dans la danse avec Martha Graham (rien de moins !).
Puis elle traversera l’Atlantique pour se retrouver à Londres où elle va donner des cours de danse. Elle se lie alors d’amitié avec une de ses élèves, qui est psychanalyste freudienne, et qui l’invite souvent chez elle. Un jour, cette femme lui demande si elle aimerait choisir une musique et danser devant elle. Laura accepte et choisit une musique de Sibelius (un poème symphonique) sur laquelle elle improvise une danse devant son amie. Lorsqu’elle s’arrête, celle-ci lui dit : « Je vois dans votre manière de danser, que très tôt vous avez perdu une très bonne mère ». Quand elle entend ça, Laura est littéralement sidérée. Elle n’a jamais parlé de sa vie à quiconque, et se demande alors, « mais comment se fait-il qu’une étrangère puisse voir dans mes mouvements que j’ai souffert de cette perte ? »
Cet épisode va totalement bouleverser sa vie. Laura avait alors environ 25 ans et va, à partir de là, vouloir à tout prix essayer de comprendre à travers des recherches intenses, quel rapport il peut y avoir entre, notre vie psychique d’une part, et la danse et les mouvements du corps d’autre part.
Bientôt elle arrive en France, se marie et se lance alors dans une psychanalyse, jungienne dont, sans qu’elle le sache véritablement, la conception correspond si bien à sa propre expérience de vie.
En effet, Jung n’a pas cherché à construire une théorie comme Freud a pu le faire, mais il a d’abord vécu, dans son corps, et dans son être le plus profond, une expérience chaotique qui avait même fait penser au psychiatre qu’il était, qu’il était en train de devenir fou.
Car, en 1913, après sa rupture avec Freud, ce père de substitution qu’il admirait tant, Jung va en effet tomber dans une profonde dépression qui va durer plusieurs années, mais qui va aussi entièrement changer le cours de son existence, sa conception du psychisme et son approche du travail thérapeutique.
Il a près de 40 ans, est au sommet d’une brillante carrière, chef de clinique à la fameuse clinique du Burgözli, Président de la Société de psychanalyse, donne des conférences aux US, en Allemagne, à Londres, en France et ailleurs… Mais soudain il arrête tout. Démissionne de la clinique, se retire de la présidence, cesse les voyages et les conférences pour laisser monter en lui, les images intérieures qui l’agitent.
C’est à ce moment que naissent les trois fameux verbes qui vont constituer la structure même de sa pratique et de sa théorie à venir :
– laisser advenir (laisser monter les images),
– considérer (se laisser féconder par et laisser naître en soi)
– se confronter avec
Et à travers ces trois verbes, nous retrouvons Laura, son espace et son temps et les règles et la rigueur qui la caractérisaient.
Laura et son « théâtre pour devenir autre », pour devenir « ce que » et « qui » nous sommes vraiment intérieurement.
Pour donner naissance à « l’étoile dansante » qui est en nous, « l’étoile dansante » qu’elle a aussi toujours représenté à nos yeux, et qui, du plus profond de la nuit, continue à briller.
N’est-ce pas pour observer la trace lumineuse qu’elle a laissé dans le ciel si sombre d’aujourd’hui, que nous sommes à présent tous réunis en ce lieu ?
Viviane Thibaudier
Hommage à LAURA SHELEEN – Intervention de Viviane Thibaudier
France Schott-Billmann
psychanalyste, danse-thérapeute, enseignante
… Elle m’évoquait même une sorte de déesse antique, non pas du type éthéré, mais plutôt une de ces déesses grecques, de haute taille, avec un beau visage équilibré et un corps solidement charpenté.
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Laura Sheleen était une grande dame, chacun le reconnaissait. Elle m’évoquait même une sorte de déesse antique, non pas du type éthéré, mais plutôt une de ces déesses grecques, de haute taille, avec un beau visage équilibré et un corps solidement charpenté. Elle ne ressemblait pas aux autres danseuses américaines que je connaissais.
Je le lui ai dit la première fois que nous nous sommes rencontrées, à la Sorbonne, après une intervention qu’elle avait faite sur les masques.
Elle était fille de pionniers américains et cela se sentait. Elle en avait l’intrépidité et l’optimisme. Il n’était pas question de baisser les bras, ni dans la poursuite de sa vie, ni dans celle de sa mission.
Cette solidité n’excluait pas son féminin, ce que je définis avant tout comme un état d’ouverture à l’altérité et au soin porté à l’autre. Laura incarnait un féminin puissant, éloigné de toute séduction de féminité-cliché.
Nous ne venions pas des mêmes danses. Elle avait fait Martha Graham aux Etats Unis et moi j’avais suivi quelques années Karin Waehner à la Schola avant de me spécialiser dans l’Expression Primitive avec Herns Duplan. Mais elle était ouverte à toutes les danses, elle avait aussi dansé avec Karin, et ce qui me touchait beaucoup, elle avait pris des cours aux Etats-Unis avec Pearl Primus, une pionnière de la danse afro-américaine qui oeuvrait comme Katherine Dunham à la reconnaissance de la danse africaine et donnait des cours appelés Danses Primitives. Pearl les offrait aussi bien aux Blancs qu’aux Noirs, car, affirmait-elle, chacun a quelque chose à libérer, même s’il n’a pas connu l’esclavage. Aussi Laura comprenait-elle parfaitement les enjeux de l’Expression Primitive et son utilité comme médiation artistique en danse-thérapie.
Laura était une artiste et comme beaucoup d’artistes elle se méfiait de l’abstraction et de l’intellectualisme. Et comme beaucoup de danseurs (comme Katherine Dunham et comme Herns Duplan au début), elle doutait de la danse-thérapie. C’est qu’elle prenait le mot thérapie dans son sens fort, et comment lui donner tort lorsqu’elle insistait que pour être thérapeute, il faut avoir dépassé beaucoup de choses sur le plan narcissique, et surtout ne pas parler de thérapie avant de parler d’art ? Je pense avoir contribué à la réconcilier avec cette discipline et elle a accepté, non seulement d’adhérer à la Société Française de Danse-Thérapie mais même de la présider car elle appréciait la qualité d’ouverture de cette association qui n’impose pas une conception unique de la Danse-Thérapie mais se compose de courants différents qui coexistent dans un respect réciproque.
Et le courant représenté par Laura était particulièrement original.
Danseuse et formée à la psychanalyse jungienne, elle se passionnait, bien sûr pour l’altérité de l’ « autre en soi », l’inconscient. Elle citait volontiers Rimbaud et son fameux « Je est un autre ». Son livre le plus connu dans la bibliographie de l’art-thérapie est son « Théâtre pour devenir autre ». Il témoigne de sa manière très personnelle d’offrir des stages où découvrir cet autre en soi à travers d’« autres » systèmes de pensée, ceux des sociétés « autres, ou celles qui ont été les nôtres et que nous avons perdues… Pour connaître le bonheur de se sentir autre, disait-elle, il faut se dé-centrer de son moi. Elle y invitait de multiples façons, dans une joyeuse transversalité des cultures et des époques, faisant appel aussi bien aux mythes grecs, qu’à la symbolisation de l’espace par les Romains. Qui avant Laura savait ce qu’était le cardo ? Qui se rappelait les célébrations traditionnelles populaires cosmiques des grandes fêtes du calendrier traditionnel comme les solstices et les équinoxes?
Laura était une autodidacte ouverte à toutes les spiritualités du monde, tous les systèmes symboliques, toutes les philosophies. Elle m’a fait découvrir toute une famille d’esprits dont mes amis universitaires se défiaient pour leur « manque de rigueur scientifique », par exemple René Guenon et l’idée d’une Tradition Primordiale, d’une vérité transcendante unique qui se retrouverait dans toutes les traditions spirituelles. Elle interrogeait aussi l’Islam ésotérique, que mon compagnon d’alors, Pierre Lory, enseignait à la Sorbonne ; lorsqu’elle venait à Paris nous l’invitions à dîner et ils parlaient ensemble longuement de soufisme, cette mystique qui passe par le balancement du corps et la danse en cercle dont elle a fait de si beaux rituels.
Laura était-elle mystique ? Si elle l’était, c’était sans aucun dogme, dans une spiritualité non-religieuse universelle, et tout en tenant à une approche scientifique. Elle disait associer le cerveau gauche et le cerveau droit, dont elle revendiquait la pensée analogique, les métaphores et la poésie qui permettent de « réenchanter » le monde . Elle faisait revivre dans la danse la réalité des archétypes à travers des grands symboles, le cercle, le labyrinthe, les points cardinaux etc.
Comme tous les psychanalystes, Laura accordait une grande importance à l’inconscient, au rêve, à l’imaginaire et à la symbolisation. Elle était jungienne et l’inconscient collectif l’intéressait davantage que l’inconscient personnel, c’est pourquoi, comme les chamanes, elle inscrivait le travail de transformation de soi dans des mythologies qui permettent de symboliser les pulsions par des représentations de divinités. Nommer la pulsion érotique Aphrodite ou Vénus, ou désigner la pulsion de violence du nom du dieu Arès ou Mars parle davantage aux gens que le langage médical et la tragique histoire d’Oedipe frappe bien davantage que tout discours sur l’interdit de l’inceste. Si la mythologie grecque, par exemple, porte le même message humanisant que la psychanalyse, elle le fait dans un langage imagé et poétique qui parle directement à l’inconscient. Laura ne considérait d’ailleurs pas les dieux et les démons comme une croyance, elle leur accordait une réalité psychique.
Elle ne donnait pas elle-même le sens, elle le donnait à trouver-créer dans les mythes dont elle faisait une joyeuse synthèse pour l’offrir comme un trésor qui a traversé les temps.
Elle n’était absolument pas narcissique et cherchait à faire découvrir le bonheur de se sentir attiré par de l’Autre plus grand que soi, de transposer le mouvement psychique de ce désir de l’Autre qui conduit « plus loin que soi » dans les gestes hiératiques, les masques, les mythes, les rituels, une pratique si décriée alors dans le monde de la thérapie… Sans s’effacer soi-même totalement, laisser place en nous à l’Autre, (avec un grand A), l’inconnu qui nous arrive, du dehors ou du dedans, entre en résonance avec notre corps, notre coeur et notre âme dans un état modifié de conscience, l’enthousiasme ou l’en-stase pour co-créer avec eux du sens et de la beauté.
Car Laura était artiste, elle voulait de la beauté, ce langage que l’homme partage avec les dieux. Elle trouvait dans l’art la faculté de transcendance et de révélation que peut avoir la religion. Pour s’élever, il faut de l’art. Elle n’avait pas peur de dire que la recherche du beau anoblit le danseur, le purifie et l’élève. Et pour se connaître, donc connaître le Soi, il faut de l’art et elle y tenait.
À notre époque désenchantée et déboussolée, en recherche éperdue de sens, ne pas oublier Laura est essentiel. Elle est pour nous tous un exemple de courage, de curiosité d’esprit, de sensibilité, d’exigence artistique et de générosité… On ne peut donc que souhaiter que l’événement d’aujourd’hui contribue à la faire vivre en nous, et que son œuvre si originale ne cesse d’inspirer les jeunes générations…
France Schott-Billmann
Hommage à LAURA SHELEEN- Intervention de France Schott-Billmann
Jabrane Sebnat
docteur en psychologie sociale, psychothérapeute
Fondateur de Alifia Institute of Stockholm
Auteur de la musique du rituel Soufi
Hommage à LAURA SHELEEN- Intervention de Jabrane Sebnat
Amy Swanson
danseuse, fondatrice du Regard du Cygne, ayant eu un lien particulier avec Laura Sheleen
Hommage à LAURA SHELEEN- Intervention de Amy Swanson
Les applications pédagogiques et cliniques
Novella Albrici
enseignante spécialisée, art-thérapeute
Barbara Dragoni
danseuse, danse-thérapeute, formatrice
Vincenzo Bellia
psychiatre, groupanalyste, danse-thérapeute, formateur
Hommage à LAURA SHELEEN – interventions de Novella Abrici, Vincenzo Bellia et Barbara Dragoni
Benoit Lesage
Docteur en Sciences Humaines, danse-thérapeute, formateur
Formée à la danse auprès des grands maîtres classiques et modernes des années quarante et cinquante —Balanchine, Federova, Graham, Limon, Cunningham, Horst…— Laura Sheleen fut une figure de la danse moderne française dans les années soixante-dix, avant de délaisser la chorégraphie et la scène pour se consacrer à une recherche plus psychopédagogique et aussi plus spirituelle. Membre de la Société Psychanalytique Jungienne, elle interroge les grands mythes, questionne la place de l’homme dans l’Univers, à travers une recherche qui s’épure au fil des années. La rencontrer et travailler avec elle fut pour moi un vrai choc, pour ne pas dire une révélation.
Hommage à LAURA SHELEEN – intervention de Benoit Lesage
Les ateliers pratiques
Transmettre l’Anneau
De l’intime à l’infini
par Mounira Yagoubi
Danseuse-chorégraphe
Enseignante des répertoires traditionnels d’Afrique du Nord
Au-delà du corps, Laura nous invitait à cultiver nos savoirs.
Elle émaillait ses stages d’une bibliographie hors du commun, nous racontaient les mythes, et se passionnait pour les sciences de l’univers et du cosmos, toujours à la pointe de tout ce qui pouvait nourrir son insatiable curiosité intellectuelle.
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J’ai rencontré Laura Sheleen à Ivry, lors d’un stage organisé par Anne Alexandre.
Pendant 16 ans, j’ai continué à suivre ses formations, à Paris, Etourvy ou ailleurs.
Grâce à la force d’analyse et de pratique qui caractérisait son travail, tous les aspects de ma vie se sont nourris de cette transmission.
Au-delà du corps, Laura nous invitait à cultiver nos savoirs.
Elle émaillait ses stages d’une bibliographie hors du commun, nous racontaient les mythes, et se passionnait pour les sciences de l’univers et du cosmos, toujours à la pointe de tout ce qui pouvait nourrir son insatiable curiosité intellectuelle.
Elle a étayé les questions fondamentales liées à la condition humaine, (d’où je viens, où je suis, où j’irais ?) de propositions corporelles structurantes, sous forme de rituels symboliques aux références universelles.
En moi résonne encore sa consigne la plus vivifiante : « Individuez-vous ! ».
INCARNER LE SYMBOLE
« Chaque imaginaire rendu image intentionnelle, geste ou parole, est une naissance personnelle, naissance jamais achevée, naissance de cet autre qui est moi, et qui émerge perpétuellement de l‘inconscient et de l’imaginaire que je porte en moi. »
Laura Sheleen
Dans le cadre de l’hommage que nous lui avons consacré au Regard du Cygne, j’ai choisi de transmettre le rituel de l’Anneau.
Ce rituel se construit sur une structure circulaire et mobile qui permet d’incarner huit états de notre cycle humain, de la vie à la mort, en résonnance avec les cycles des saisons et des mythes.
Laura l’a élaboré avec une précision méticuleuse, donnant à chaque micromouvement, chaque orientation, un sens profond.
Dans ce rituel, la résonnance immédiate entre corps et symbole est d’une grande puissance, à vivre comme à observer.
Le samedi 16 septembre, c’est dans la salle du Regard du Cygne, un lieu cher à Laura, que nous nous sommes rassemblés pour pratiquer l’Anneau.
Nous étions une trentaine et disposions d’un peu plus d’une heure. La plupart des participants connaissaient le travail de Laura, d’autres venaient le découvrir.
Après un temps d’explication et de mise en place des consignes (réajuster les postures, les directions, la fluidité de la circulation, le respect du cercle), trois groupes se sont constitués.
Accompagné par la musique, chaque groupe a pratiqué puis observé tour à tour. Laura accordait beaucoup d’importance à la musique.
Darkwood de David Darling est un morceau au tempo lent, qui permet, par sa puissance enveloppante, de s’installer dans un flux organique à la fois intime et collectif.
Malgré la brièveté de cet atelier, le temps de parole qui l’a conclu a permis de partager témoignages et émotions qui confirment la puissance de ce dispositif mis en place par Laura Sheleen.
Faire l’expérience de l’Anneau, c’est incarner un temps mobile et suspendu.
C’est aussi, par la répétition des cycles, se mettre au diapason d’un éternel retour au vivant, où la mort s’expérimente comme une étape et non pas comme une fin.
Mounira Yagoubi
Mounira Yagoubi ©Ulysse
Initiation au Mythodrame, le théâtre masqué
par Eleni Papageorgiou
Philosophe-Psychopédagogue,
Art-thérapeute-marionnettiste
Le Mythodrame, (théâtre archétypal masqué), est un dispositif inventé par Laura Sheleen. Il s’agit d’ une psychothérapie d’inspiration analytique jungienne…
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Le Mythodrame, (théâtre archétypal masqué), est un dispositif inventé par Laura Sheleen. Il s’agit d’ une psychothérapie d’inspiration analytique jungienne. C’est une technique non directive, qui s’inspire du psychodrame et du rêve éveillé, d’ une analyse individuelle, (verbale et non verbale), adaptée au contexte du groupe. Son objectif est l’élargissement de la conscience et l’établissement d’un dialogue entre le conscient et l’inconscient, personnel et collectif.
L’important dans la technique du mythodrame est la division de l’espace théâtral et sa mise en corrélation avec la division de l’espace cosmique.
LE THÉÂTRE SACRÉ ET SON LIEN AVEC LE COSMOS
Le théâtre est un lieu consacré au déroulement d’une cosmogonie, une théogonie ; il fait référence aux mythes ,décrivant la création du monde, le verbe prononcé par la bouche d’un dieu. Il est le lieu de transformation pour acteurs et spectateurs. Il s’agit d’agoniser, de lutter, du chaos à la création du cosmos.
Le théâtre antique grec est orienté suivant la course du soleil. Pour le spectateur, la gauche de la scène est le lever du soleil, (côté jardin), et sa droite, le coucher, (côté cour). L’est symbolise le passé, l’ouest le futur. Théâtron, le prototype est orienté en fonction de nos perceptions du soleil.
La scène se trouve au centre, « omphalos », le nombril. Ce centre permet la communication entre terrestre et céleste.
L’espace théâtral, au début des origines, était une représentation du cosmos et de l’ordre différencié. Jouer le mythe dans des moments sacralisés, par une série de rituels, permet de réactualiser le temps, de symboliser l’éternel retour, de trouver le centre sacré de la vie, la source d’immortalité, d’expérimenter le cycle de la vie et de la mort, de s’initier aux mystères. L’écart, l’ombre du matin et du soir, porte à un cercle. L’heure du rituel, (spectacle sacré),s’accorde avec le temps cosmique, solstice, équinoxe, lunaisons, éclipses. Il y a corrélation avec le temps cyclique, midi, minuit, été, hiver. Le héros ou le Dieu Soleil chute en enfer chaque soir et renaît ; les rituels représentaient ce drame du cycle de la course du Soleil. Chaque soir le Soleil descend par la porte occidentale chez Hadès, l’empire de la Mort. En héros il traverse et renaît chaque matin. Le dieu céleste doit rentrer en agonie, vaincre le dragon, principe de la mort, qui symbolise la puissance des ténèbres et libère les eaux. Il vient du nord qui symbolise la plénitude spirituelle, il est le messager des sages, l’initiateur. Pour devenir le héros, il faut explorer sa propre psyché, individuelle et collective. Cette dernière se manifeste par l’élaboration des mythes qui sont la base du rituel.
PASSAGE DU RITUEL À L’ART
Les masques, la danse, la musique sont ancrés dans les rites sacrés de la mort et de la vie. Ces rituels sont des moments théâtralisés, valorisés, avec une mise en scène de la situation, dans un lieu sacré et une conduite à tenir. Le sens sacré des rituels est la répétition de l’acte divin de la création. Dans le trajet initiatique du labyrinthe, après des épreuves préparées par les prêtres, le vrai héros arrive à la lumière, vainqueur de la peur. Il fait l’expérience symbolique de la mort et du recommencement de la vie. Tout rituel a un modèle divin, un archétype : L’union avec Dieu assure la fécondité terrestre. Chaque nouvelle année, les pêchés sont annulés avec la reprise du temps à son commencement, le passage du chaos à la cosmogonie, du morcellement à l’unité, de la mort à la vie.
Dionysos
Dionysos, l’étranger, vient déranger le culte d’Apollon, et révolutionner les meurs de l’Athènes classique. C’est un nomade, son Temple est monté là où il se pose entre ses voyages. Dionysos porte un masque qui cache l’identité de l’autre, l’altérité qui caractérise l’homme. Le dévoilement du masque de Dionysos rendait fou celui qui le regardait. C’est le dieu qui libère les femmes. Ses prêtresses, les bacchantes entendent sa flûte et quittent leur maison et leur cadre social. Dionysos leur donne la liberté de s’identifier à l’instant animal, hors du modèle masculin. Durant les fêtes dionysiaques, les bacchantes possédées par le dieu, dansent en manipulant des serpents, elles rejouent le mythe du morcellement de Dionysos, de sa mise à mort par les Titans à sa renaissance. L’ivresse, l’érotisme, la fertilité, l’inoubliable expérience provoquée par l’arrivée des morts, la mania, l’immersion dans l’inconscient animal, ou encore l’extase surgissent de la même source : la présence du dieu, son apparition et sa disparition.
Dionysos est la jonction entre les deux mondes, le monde des vivants et le monde des morts. Il donne la « manie », la possession par l’autre, mais apporte aussi la guérison, la purification à travers la transe et l’extase.
Dionysos permet le passage du rituel à l’art. Il est protecteur des jeux dramatiques, de la tragédie, liée aux cultes des morts, de la comédie, liée aux esprits de la fécondité et de la fête carnavalesque. Dans l’antiquité, carnaval et rites dionysiaques donnent naissance au théâtre grec.
On passe d’un rituel spectaculaire à un spectacle rituel. Le masque de Dionysos défie la mort, se joue de la peur, transgresse les limites.
En fait, les deux éléments, le dionysiaque et l’apollonien ne font qu’une seule unité, celle des opposés. Leur opposition n’amène pas à la division, mais à la naissance de la tragédie, avec la rencontre des deux éléments : le dionysiaque, (de l’inspiration, de l’ivresse, de la musique et de la danse) avec l’élément apollonien, (la sculpture, les formes géométriques, la structure, la loi). Le monde de Dionysos est un monde d’une existence massive et groupale, le monde d’Apollon est celui de l’existence individuelle et personnelle.
L’élément dionysiaque se lie à l’intense peine psychique de la séparation et de la mort, (Nitse). C’est le trauma de la naissance de l’homme. Avec la perte de la mère, il perd aussi un morceau de son psychisme, (Freud 1926). Après la séparation physique suit la séparation psychique. L’exaltation dans les cultes de Dionysos fait vivre l’état de la « manie », quelque chose comme la métamorphose de cette douleur initiale à une expérience d’illusion, celle de redevenir un avec la mère originelle, (terre-mère), dans une éternelle joie.
LES RACINES DU MASQUE
Le masque est très ancien. Aux sources de la civilisation Égyptienne, 3.000 avant J.C., dans des rituels d’embaumement, les prêtres revêtaient le masque d’Anubis, le dieu de la mort, et rejouaient le mythe d’Osiris. Anubis, maître de thanatopraxie, accompagnait le défunt afin de le protéger de la mort définitive. L’idée de la mort et du non être nous est insupportable. C’est pour cela que l’homme met en place des rituels, afin d’accompagner l’âme du défunt. Le corps meurt et son double, son âme continue une autre vie. Que l’on ne voit pas, que l’on ne connaît pas. La mort est représentée par Hadès : celui qu’on ne voit pas. L’inconnu. Et là, une porte s’ ouvre et donne vue à un espace onirique, fantasmatique, imaginaire et créatif.
Le Mythodrame
Création des masques et jeux scéniques : chaque participant est invité a créer son masque. Les créateurs des masques sont les seuls à pouvoir insuffler la vie dans leur œuvre, comme dieu a soufflé la vie à l’homme. Les créateurs des masques vont d’abord les porter et les animer, afin de les présenter au public. Dans un deuxième temps les masques sont exposés et peuvent être portés par tous les participants. Le protagoniste démarre le jeu sur un projet conçu, plus ou moins structuré ; les antagonistes qui sont appelés ensuite à rentrer dans le jeu, doivent d’abord coexister avec le protagoniste, avant d’entrer en relation avec lui.
La paroli
La paroli a pour objet la verbalisation. Les acteurs nomment des événements réels, physiques et psychiques, éprouvés pendant le jeu. Il y a un dialogue entre acteurs et spectateurs. Ceux ci vont projeter leur compréhension des jeux montrés. Les spectateurs chercheront à découvrir le lien entre l’acte théâtral, l’image montrée et le mot, l’image parlée. La Paroli est une étape importante. C’est la nomination de l’affect, une auto-évaluation, une auto-critique. Les acteurs vont percevoir comment mieux jouer, comment montrer des choses et les rendre apparentes, compréhensibles pour le public. Le but est de progresser dans la communication, d’expérimenter le pré langage primitif, (cris, gestes), visant à une transformation de l’acteur, à un dépassement de soi-même. Il y a toute une recherche à faire sur la manière dont le masque peut imposer une façon d’être corporelle.
Archétypes
Les archétypes sont des images archaïques, des traces innées, un héritage de l’esprit collectif humain. Les archétypes des divinités féminines sont dans nos mémoires, comme sagesse, force intérieure et expression de notre sens sacré. Ce sont des schémas d’énergie universelle, des formes symboliques qui structurent la psyché. La psyché humaine est composée de différents schémas d’énergie dont la connaissance remonte aux sources de plus anciennes traditions. Il s’agit d’un modèle primitif qui apparaît dans les mythes et dans les rêves. Nous avons peut être oublié une partie de ces archétypes, certains sont plus effacés, d autres plus vivaces.
Dans le travail du mythodrame, on va se souvenir de nos archétypes refoulés, on va jouer avec l’envie de les équilibrer. Avec les rituels on met en scène les fantômes de notre vie, on les nomme, on les pacifie. On prend conscience des archétypes qui nous dirigent.
Le travail du mythodrame est d’amener nos expressions pulsionnelles et inconscientes à l’analyse, pour y mettre lumière et conscience.
Trois archétypes féminins fondamentaux donneront lieu à trois séminaires : Artémis, Aphrodite et Hécate
Artémis déesse très ancienne, elle est représentée au panthéon des dieux dès le 12ème siècle avant le Christ. Elle est la fille de Zeus et de Léto, la sœur d’Apollon. Léto chassée par Héra, qui souffre de jalousie excessive, trouve refuge à Délos, île qui apparaît de la mer d’Égée, afin de aider la pauvre femme à accoucher. Artémis naît la première et aide sa mère à donner naissance à Apollon, son frère gémeau ; elle devient ainsi sage femme, protectrice des femmes en couche et des jeunes enfants.
Déesse de la chasse, elle est représentée avec un arc et des flèches, son frère jumeau avec sa lyre. Exploratrice ou « louve », elle reconnaît les traces des animaux sauvages, les suit, afin de retrouver l’état de son âme sauvage. Archétype de la nature sauvage, de la créativité, elle reconstruit l âme, afin non seulement de survivre mais aussi d’évoluer ; elle est indomptée, indépendante, instinctive compétitive. Elle poursuit ses intérêts, en tirant de son arc la flèche sur sa cible. Confiante, elle dispose d’une grande ouverture d’esprit, elle aime la découverte et la liberté. Elle aime sa solitude.
Artémis incarne une double représentation ; elle est la chasseuse qui court les forêts en s’identifiant aux fauves, en donnant avec ses flèches une douce mort soudaine à ceux et celles qui transgressent ses règles; en même temps elle est la jeune vierge qui vit dans le plaisir de la danse, du chant et de la musique. Elle mène la danse des jeunes enfants et elle les prépare, en les amenant de la périphérie du cercle au centre, en les accompagnant de l’enfance à l’âge adulte. Elle est la déesse des marges, des frontières, des carrefours, en quête de notre âme sauvage, elle nous conduit au bon chemin en nous accompagnant vers l’ouverture à l’Autre. Elle est l’une des rares déesses qui porte un masque qui symbolise l’altérité. Aux limites de la sauvagerie et de la civilisation, elle nous apprend à intégrer les règles éthiques, sociales et religieuses. Elle apprend aux adolescents l’art de chasser, mais elle les protège aussi de la sauvagerie animale. À travers des rituels de danse et de masque, elle les amène à la vie sociale, la jeune fille au mariage, le jeune garçon à la citoyenneté.
De la nature sauvage, elle amène l’homme aux champs cultivés et à la multiplication des graines et des fleurs.
Aphrodite naît de la semence immortelle d’Ouranos, dont les organes sexuels tranchés par Chronos, sont tombés à la mer, (mythe de la séparation de Gaïa et d’Ouranos). Elle représente la déesse de l’amour, de la fertilité de l’abondance et de la passion. Elle baigne dans les sens et les émotions. Symbole du pouvoir d’attraction et d’union, elle s’aime et aime les autres, en créant des liens intimes et forts. Elle dévoile la beauté du monde, de tous les êtres. Elle peut guérir avec sa fréquence de vibration d’amour. C’est la mère généreuse qui peut nous offrir tout ce dont nous avons besoin, aimer et être aimé.
Hécate est a la fois la vierge, la mère et la vieille-sage, celle qui sauve l’âme du monde. Mystérieuse magicienne, elle est la gardienne de l’inconscient, déesse de la nuit, de la lune et de l’art. Avec sa torche, elle illumine l’inconscient pour révéler ses secrets. Elle éclaire nos côtés obscurs. Elle est représentée avec trois visages, celui d’un chien, d’un serpent et d’une femme. Elle règne sur les trois mondes, le monde des mortels, le monde des dieux, et celui de l’enfer. Elle accompagne les fantômes sur la terre, et les retient ou les libère. Gardienne des portes et des points limites, gardienne des carrefours, elle aide à prendre des décisions. Elle a le pouvoir de redonner la vie et de montrer le chemin. Elle libère les mémoires dynamiques ancestrales, c’est la déesse de la transformation.
L’œuf cosmique
Dans l’antiquité grecque la danse faisait partie de tous les instants importants de la vie. Dans les rites de fertilité, la danse est une métaphore qui mime les sphères cosmiques, offre une eurythmie cosmique, harmonise le corps, donne équilibre, grâce et force vitale.
Selon le mythe pélasgique de la cosmogonie, la danse est liée à l’activité de la déesse de la création Evrinomi. Du chaos nue elle sortit et commença par créer l’océan ; elle se mit à danser sur ses vagues. Puis avec ses mouvement elle créa le vent du Nord ; ensuite elle façonna le serpent Ophion auquel elle s’unit. Ayant prit la forme d’une colombe, (péléia), elle couva sur les vagues de la mer l’œuf qu’elle avait pondu. Ophion s’en roula sept fois autour de cet œuf qui en se brisant, donna naissance à tout ce qui existe. Ce mythe évoque l’œuf du serpent, chez les druides et il renvoie aux représentations d’omphalos entouré par un reptile.
Papageorgiou Eleni
Philosophe-Psychopédagogue,
Art-thérapeute-marionnettiste
BIBLIOGRAPHIE
• Théâtre pour devenir… autre, Laura Sheleen, préface Dr Pierre Solié, éditeurs EPI SA, 76 bis, rue des Saints-Pères, Paris 7e.
• L’Univers, les dieux, les hommes, Récits grecs des origines, Jean-Pierre Vernant, éd : du Seuil, 1999 28.
• Le symbolisme dans la mythologie grecque, Paul Diel, préface de Gaston Bachelard, éd : Petite bibliothèque Payot, 1966, 1980 29.
• Le mythe de l’éternel retour, archétypes et répétition, Mircea Eliade, éd: Gallimard, 1969 30.
• Le sacré et le profane, Mircea Eliade, éd:Gallimard, 1987 31.
• Aspects du mythe, Mircea Eliade, éd : Gallimard,1963 32.
• Métamorphoses de l’âme et ses symboles, C.G. Yung, Georg Editeur S.A., 1953,1993 33.
• Les danses sacrées, Le chamanisme européen, Morgane Camiret, éd : Dangles, 2005 34.
• Les cahiers du masque, publiés par les créateurs de masque, publication annuelle, 30 juin 2009, 2014
• bible de la mythologie – Sarah Bartlett.
• Les celtes et le druidisme- source Raimond Reznikov.
Eleni Papageorgiou
Eleni Papageorgiou ©Morena Campani
Les projections
Invitation au labyrinthe
Invitation au labyrinthe film d’Ève Alexandre
Pendant deux ans, la vidéaste Ève Alexandre (réalisatrice, monteuse de films documentaires, céramiste) a rassemblé un groupe d’élèves de Laura Sheleen pour filmer leur processus d’apprentissage.
De Géométries à La Haie d’Honneur, elle a réalisé une série de six films documentaires qui mettent en valeur la richesse de cette transmission, génératrice d’individuation.
Hommage à Laura Shelen – Intervention d’Eve Alexandre ©Ulysse
Donna Mi Prega
Donna Mi Prega est un portrait de Laura Sheleen dans son intimité réalisé par Morena Campani.
Hommage à Laura Shelen – Intervention de Morena Campani ©Ulysse
Création inspirée des exercices « Corps Espace temps », par les élèves de Laura Sheleen
Création costumes > Mounira Yagoubi
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